Après avoir gravi le toit du monde ; celui de l’Afrique, de l’Europe et de l’Amérique du Sud ; Tahar Manaï, avait envie d’un nouveau projet, d’une ascension différente, loin des cordées commerciales habituelles…
Pompier de métier et alpiniste par passion, son choix se porte rapidement vers une ascension plus confidentielle, loin de tout… dans le Yukon Canadien, à la frontière de l’Alaska : Celle du Mont-Logan (5 959 m).
Il se renseigne, se documente et découvre que la montagne est une terre sacrée ; celle des autochtones appelés “premières nations”.
Est-elle accessible ? Ses valeurs l’autorisent-elles à gravir ce sommet avec la simple demande d’autorisation en ligne délivrée par l’État canadien, en faisant fi des croyances locales ? Cette perspective ne lui plait pas …
Chef d’expédition du Mont-Logan expédition 2024, Tahar part alors en juin dernier sur les terres des premières nations pour les rencontrer et leur parler du projet. Il en profite aussi pour faire une reconnaissance terrain sur le glacier du Mont-Logan.
À son retour, nous avons pris le temps d’échanger avec Tahar sur cette reconnaissance, mais aussi sur sa vision de la montagne :
Guillaume Labergerie : Salut Tahar. Tu étais l’invité de notre premier podcast. Je suis ravi de te retrouver ici pour cette deuxième interview. La première, nous avions échangé surtout sur ta carrière d’alpiniste. On avait parlé de Mont-Blanc, d’Everest, de Kilimandjaro et notamment d’un futur projet qui devait t’emmener au Canada, au Mont-Logan. Tout d’abord, comment vas-tu ?
Tahar Manaï : Je vais très bien. C’est la grande forme de mon côté : Grande forme physique, grande forme morale, tout va bien !
GL : Peux-tu nous expliquer les détails de cette expédition canadienne ?
TM : Pour cette expédition, nous avions décidé de l’articuler en deux phases. En effet, cela nous semblait important de prendre notre temps afin de bien faire les choses. Et ceci, pour la simple et bonne raison que nous voulions aller à la rencontre des locaux avant de faire cette expédition. Je ne sais pas si vous avez eu l’opportunité d’aller sur le site d’Expé3, mais nous avons commencé à expliquer comment allait se dérouler l’expédition.
Tout d’abord, une première phase qui s’appelait la reconnaissance. Celle-ci permettait d’aller à la rencontre des habitants du Yukon, plus précisément des gens qui vivent au pied du Mont-Logan. Puis, dans un second temps, l’expédition en tant que tel sur l’année 2024.
La reconnaissance a eu lieu en juin dernier et elle s’est vraiment bien passée. Nous avons pris du plaisir pendant une quinzaine de jours à rencontrer les habitants des Premières Nations et ça a été très inspirant.
Cette reconnaissance nous a aussi permis de recentrer le projet et de revoir notre ligne directrice. Pas grand-chose a changé, mais ce genre de rencontre permet aussi de se re-calibrer et d’ajuster certains détails de l’expédition.
GL : Quels étaient les objectifs principaux en partant pour cette reconnaissance ? Qu’est-ce qui en a découlé ?
TM : Si on revient sur la genèse de ce projet, le questionnement, c’était de se dire pourquoi quand je vais grimper un sommet dans l’Himalaya, je vais demander une permission, une bénédiction ?
Par exemple, quand je suis allé au Népal pour gravir l’Everest, j’ai pris part à une puja, une cérémonie qui m’a permis et qui m’autorise à grimper.
Dans ce cas-là, quand je veux grimper une montagne diamétralement opposée dans l’ouest canadien, pourquoi je ne ferai pas cette démarche-là ?
La première démarche pour moi, a été de demander l’autorisation, la bénédiction des peuples locaux. Mon objectif et mon envie étaient de demander cette autorisation aux Premières Nations de rentrer chez eux, de pouvoir aller sur ce glacier, de pouvoir grimper ce sommet.




GL : C’est-à-dire que culturellement, ce genre de chose se fait beaucoup dans l’Himalaya, comme la puja dont tu parlais et au contraire très peu dans d’autres régions du monde et notamment avec les communautés des premières nations ?
TM : Peu ou pas du tout. Ça ne se fait même pas.
GL : Pendant cette reconnaissance, tu es donc allé à la rencontre de certaines communautés. Peux-tu nous expliquer un peu comment ça s’est passé et qui tu as rencontré ?
TM : Bien sûr, on était deux sur cette phase de reconnaissance. Il y avait Annie-Claude qui était avec nous pour toute la partie photos, vidéos. Elle a aussi grandement contribué à la mise en relation avec des personnes du territoire.
C’est un peu difficile d’arriver sur un territoire qui est quasiment ou un peu plus grand que la France. Avec environ 40 000 habitants, nous ne pouvons pas frapper à toutes les portes, puis arriver en criant : “Je cherche à parler à”.
Préparer ce genre de voyage, c’est beaucoup de travail en amont et de préparation. C’est beaucoup de recherche, de réseau, de contacts. La chance que nous ayons eue, c’est que même si le territoire est très vaste, il y a seulement 40 000 personnes qui y habitent. Nous arrivons donc facilement à faire les connexions entre les personnes.
En plus, le monde de la montagne a cette richesse-là : c’est un petit milieu. Nous avons alors réussi à trouver les bonnes personnes-ressources pour discuter avec des personnes, des communautés.
GL : Et du coup, concernant les bonnes personnes-ressources comme tu dis, je sais que tu as rencontré un certain Ron Chambers. Peux-tu nous parler de lui ?
TM : Je pense qu’on a toujours ressenti ce sentiment. Si ce n’est pas le cas pour vous, je vous souhaite de le vivre. Mais lors de cette rencontre, j’ai eu l’impression de discuter avec mon voisin de palier.
Ce jour-là, dans le Yukon, au pied du Mont-Logan, j’ai été convié chez Ron pour discuter.
Nous ne savions pas sur quoi nous allions échanger. Moi, j’avais une volonté première, c’était de demander cette permission. Au fil de nos échanges, cela m’est carrément sorti de la tête. Même si j’ai fini par lui poser cette question.
En tout cas, ils ont cette transmission de leur histoire par l’oral. Et j’ai passé peut-être cinq ou six heures, si ce n’est plus à l’écouter. Sans un verre d’eau, sans un café, sans rien, juste à l’écouter, à discuter, à essayer de comprendre.
Le but premier de cette expédition, c’est aussi de comprendre ces personnes-là qui vivent sur le territoire, qui évoluent avec les territoires, qui évoluent avec le glacier.
D’ailleurs, la question que je me pose souvent et que je souhaite comprendre c’est pourquoi ont ils ce rapport à la montagne dans ce sens-là et pas dans l’autre, comme le nôtre ? C’est tous ces questionnements-là qui viennent bousculer un peu l’ordre établi de notre pratique de l’alpinisme.

GL : Justement qu’est-ce qui en est ressorti de cette discussion ? Est-ce que tu peux nous raconter l’histoire de Ron qui est un peu particulière ? Notamment avec le Mont-Logan ?
TM : Le Mont-Logan se situe très précisément dans le parc national du Kluane. Ce parc est géré par le territoire canadien, tant sur le plan accès, que sécuritaire.
Ron avait à l’époque cette casquette de secouriste où il venait aider des alpinistes ou des expéditions en mauvaise posture. Il avait donc été formé et préparer pour. Il avait cette particularité d’être une personne appartenant aux communautés autochtones.
Il évoluait dans cet environnement-là, alors que les personnes issues des communautés ne le font pas de prime abord.
Au fur et à mesure des discussions avec Ron, il finit par me livrer qu’il est devenu un peu contre son gré, sans forcément l’avoir choisi, le premier autochtone à avoir gravi le Mont-Logan. Il nous raconte les différents secours, les différentes expéditions, différentes rencontres, accidents, etc.
On a parlé d’hélicoptère. C’était amusant, car les hélicoptères qu’ils utilisaient étaient fabriqués en France. Ils étaient aussi utilisés pour les secours chez nous. C’étaient exactement les mêmes qui étaient utilisés dans le Yukon pour faire du secours.
Donc, on a beau être très loin géographiquement et dans l’âge – avec Ron, il y a un gap générationnel, culturel – tout est réuni pour que nous ne nous rencontrions pas et pour que nous ne communiquions pas. Et finalement, nous nous retrouvons dans son garage avec du matériel d’alpinisme, du matériel de pêche, tout ce qu’on peut retrouver dans le garage de Monsieur et Madame Tout le monde.
Nous commençons alors à parler de montagne, de secours en haute montagne, du Mont-Logan, de son histoire. On parle de montagne, mais surtout, on parle de son histoire à lui, en tant qu’Homme autochtone. Comment il est vu par les gens de son territoire, Comment il est vu de l’extérieur, quelles sont ses activités professionnelles, ses activités personnelles. Il parle de sa vie de famille. Là, on n’est plus juste dans une relation « rencontre cordiale, professionnelle », mais nous rentrons dans son intimité.
GL : Ça devait être une rencontre très inspirante. Comment est-ce qu’il a réagi quand, justement, tu lui as posé cette fameuse question qui est la base de ton projet ?
TM : Eh bien, il m’a dit qu’il n’allait pas me répondre de façon favorable ou défavorable, mais qu’il allait me raconter une histoire. Et il m’a raconté l’histoire d’un événement sportif qui a eu lieu non pas en montagne, mais sur les rivières. Il faut savoir que les rivières ont une plus grosse importance dans l’histoire des communautés parce qu’elles sont source de transport, d’alimentation notamment vis-à-vis de la pêche. Donc la relation aux rivières est beaucoup plus importante.
Il me raconte donc qu’il y a eu un grand événement sportif : une descente de rivière. Ce qui l’a heurté et je pense que ça l’a heurté au plus profond de lui-même, c’est que personne ne s’est soucié des communautés lorsqu’ils sont venus faire cet événement. Les organisateurs sont venus faire leur événement et celui-ci a été très médiatisé avec beaucoup de monde. Les premières nations ont un peu été les laissés pour compte du territoire et forcément, ils le vivent de façon très violente. Si ce monsieur d’un certain âge me prend le temps de me raconter ça, c’est qu’au plus profond de lui, ça l’a perturbé.
Je me demande si ce genre de choses a moins perturbé les plus jeunes. Je pense que dépendamment du fait de comment on est ancré à son territoire, on est heurté ou pas.
Ce qu’a ressenti Ron, c’est que sa communauté était des laissés pour compte. On ne les a pas sollicités, on ne leur a pas demandé, ni l’autorisation, ni… On ne leur a rien demandé. Cet événement aurait pu être une bonne occasion de les mettre en avant mais ça n’a pas été le cas.
Pour revenir à ta question, à la fin de cette histoire, il m’a dit qu’il était très touché par ma démarche, que jusqu’à présent, personne ne les avait sollicités de la sorte en venant à leur rencontre.
Il finit par me dire qu’il en parlerait aux autres membres de la communauté et que ce n’était pas à lui, en tant que Ron Chambers, de prendre une décision. Mais qu’évidemment, il était très touché par cette démarche.
GL : Et toi, quelle va être ton approche à leur égard par la suite ? Qu’aimerais-tu bien mettre en place ?
TM : Justement, tu as sur le bon sujet. Nous voulons inclure les membres de cette communauté en leur proposant de participer à notre expédition. Nous souhaitons inclure un ou une jeune de la communauté qui se sent à l’aise et surtout qui serait intéressé par notre projet.
Cela leur permettrait de continuer à transmettre leur savoir aux plus jeunes et pour que nos deux visions de la montagne puissent se rencontrer.
J’ai également proposé à Ron de nous accompagner dans cette expédition.
GL : OK, je crois savoir aussi qu’il y a peut-être un documentaire qui serait réalisé sur cette expédition. Même si je pense qu’on a bien compris tout ce que tu disais, quelle valeur est-ce que tu souhaiterais mettre en avant ?
TM : J’aime beaucoup les films de montagne, mais l’idée ce n’est pas de faire un film de montagne, c’est de faire un film d’humains en montagne. Ça parait peut-être bête ce que je dis, mais ce dont j’ai envie, c’est de donner la parole aux communautés des premières nations. Alors, bien évidemment, ils n’ont pas besoin de moi pour la prendre, mais quitte à monter un projet, quitte à aller jusque-là bas, autant que ce documentaire serve de porte-voix pour les communautés du territoire du Mont-Logan.
Je pense que c’est important qu’on leur donne la parole et qu’ils racontent leur histoire.
GL : Je sais qu’il y a beaucoup de communautés des Premières Nations dans le Yukon et dans tout le Canada. Lesquelles as-tu rencontrées ?
TM : J’ai rencontré la communauté Champagne et Aishihik et la communauté Kluane qui sont les deux plus proches du Mont-Logan.
GL : Ils ont donc un lien vraiment particulier avec le Mont-Logan ?
TM : Ils ont un lien très particulier avec le glacier, mais pas le sommet en tant que tel.
GL : Et justement, quel est leur rapport vis-à-vis de leur environnement naturel qu’il occupe ? Quelle est la différence entre leur culture et la nôtre à ce niveau-là ?
TM : Pour eux, leur vie est tournée vers leur environnement et leur territoire. Aujourd’hui, en 2023, ces personnes vivent comme vous et moi. Ils vivent dans des maisons, dans des appartements. Ils se déplacent en voiture, en motoneige, etc. La seule différence, c’est qu’ils sont très ancrés sur leurs racines et sur l’histoire de leurs ancêtres. Et c’est ça qu’ils ne veulent surtout pas oublier et qu’ils ne veulent pas effacer.
Ces deux communautés qui vivent autour du glacier du Mont-Logan, se servent des lacs, des rivières pour vivre, pour manger. Mais aussi pour transmettre leur histoire à travers des symboles comme leurs sculptures … Comme je le disais plus tôt, c’est une histoire de transmission orale. C’est aussi grâce à leur territoire qu’ils arrivent à raconter leur histoire aux plus jeunes.
GL : Dans un précédent podcast, j’avais interviewé un journaliste de Trek mag qui s’appelait Volodia. Il avait traversé le Yukon en canoë pendant plusieurs mois. Lui, il avait été marqué par cette pauvreté qu’il rencontra avec les habitants qui longeaient le Yukon. Il avait été notamment aussi choqué par l’alcoolisme. Est-ce que c’est quelque chose que tu as remarqué aussi ?
TM : Je n’ai pas été directement confronté à ce genre de situation. Je pense que la misère sociale, cette détresse sociale et humaine que tu décris, on les retrouve malheureusement partout dans le monde. Elles ne sont pas propres au territoire, au territoire du Yukon. Elles peuvent être, je pense, exacerbées par des questions de météorologie environnementale parce que le territoire peut être hostile à ce niveau. Mais non, je n’ai pas été confronté directement à ça.
GL : On doit souvent te poser la question. Quelle est la raison qui te donne envie de gravir les sommets ? Tu es un alpiniste, tu as gravi l’Everest, le Mont-Blanc, le Kilimandjaro et plein d’autres sommets. D’où te vient cette envie ?
TM : C’est sûr que d’un point de vue de sentiments et d’émotions, ils sont exacerbés en montagne.
Par contre, aller grimper une montagne tout seul, ce n’est pas forcément un réel plaisir pour moi. En revanche, partager ce moment avec des personnes, c’en est un. Rentrer à la maison, le partager avec le plus grand nombre, c’en est aussi un.
Je citerais Kevin (Girard) qui à travers ces mots, dit que grâce à ce genre d’expédition que l’on fait et qu’on partage ensuite, on permet de faire rêver aussi un peu les autres. Si je peux faire rêver les gens et aussi servir de porte-voix à d’autres, c’est là où je prends tout mon plaisir en montagne.

GL : Le sommet du Mont-Logan est situé dans un endroit très sauvage. Je sais que c’est interdit de le faire en solo. J’imagine que c’est un sommet difficile et sûrement très dangereux. Quels en sont les risques et comment fais-tu pour les appréhender ?
TM : Aujourd’hui, il délivre à peine 20 ou 30 permis dans l’année et puis entre les permis délivrés et les gens qui arrivent au sommet, on arrive parfois entre cinq et dix personnes, grand max au sommet à la saison. En plus, la fenêtre météorologique pour faire le Mont-Logan est relativement courte. Elle se situe entre mai et début juin. Avant, il fait beaucoup trop froid. Après, les ponts de neige ne sont pas assez solides, il y a beaucoup de crevasses et donc le terrain devient encore plus accidenté qu’il ne l’est déjà.
Ça reste bien évidemment une expédition particulièrement engagée. Mais, selon la voie que nous faisons, elle peut être accessible d’un point de vue technique. D’autres voies sont bien plus difficiles par exemple.
C’est aussi ça la richesse de la montagne ; sur un même objectif, on ne va pas retrouver le même terrain. Pour gravir le Mont-Logan, il va y avoir quinze ou vingt voies pour faire son ascension. Toutes ces voies seront totalement différentes. Le matériel utilisé sera différent également. À chaque voie, sa difficulté, je dirais.
L’une des plus grandes difficultés est forcément l’isolement. En effet, nous sommes sur une expédition où nous ne pouvons pas oublier du matériel, de la nourriture ou un peu de gaz. C’est aussi ces éléments à prendre en compte qui complexifie cette expédition. Nous sommes largués sur le glacier par un petit avion et nous le re-voyons trois semaines après. Il n’y a alors pas de retour possible. Le retour possible, c’est forcément la réussite de l’expédition, le secours ou alors un arrêt d’expédition.
Les dangers inhérents à cette expédition sont forcément les dangers inhérents à l’alpinisme. En règle générale, pour tout ce qui est des terrains crevassés, nous allons respecter les mêmes règles d’encordement. Là où nous aurons une différence, c’est que nous allons avoir une luge remplie de notre matériel à traîner. La charge sera beaucoup plus lourde. La progression se fera d’ailleurs en ski ou en splitboard.
Pour répondre à ta question sur la préparation de l’expédition, cela va aussi passer par des reconnaissances terrain. Cela en demandant des retours d’expédition, en contactant des gens, comme Hélias Millerioux qui nous a donné tout son feedback sur son expédition au Mont-Logan. C’est aussi en discutant avec les gens du territoire, en discutant avec des guides locaux,
L’accomplissement et le succès d’une expédition ne se mesurent pas uniquement à la réalisation de son objectif, mais aussi à la sécurité et au bon retour à la maison. Avoir une bonne maîtrise des facteurs sur lesquels on peut agir augmente les chances de réussir l’expédition.
GL : Et justement, pour avoir bien en tête comment va se passer l’expédition, tu nous disais que celle-ci allait se dérouler en ski de rando ou en splitboard. J’imagine qu’il va y avoir des bivouacs que vous allez installer, une montée par palier. Est-ce que cette expé va se dérouler un peu comme sur ce que tu as vécu sur l’Everest avec des phases d’acclimatations ? Comment est-ce ça va se passer à ce niveau-là ?
TM : Ça va ressembler globalement à ce que tu décris comme type d’expédition, à la différence que là, tu es à 100 % dans la neige du début à la fin. Alors oui, il y a des côtés où ce sera très facile et très cool. Cela peut en effet être très agréable d’être dans la neige tout le temps mais si on re-situe géographiquement ce sommet, il est très au nord, très proche du pôle, très proche de l’Alaska. La météo va être assez compliquée et va rendre l’expédition difficile. Les progressions peuvent être ralenties. Par exemple, si nous sommes pris dans un jour blanc ou dans une tempête, on posera alors notre tente, puis on n’en bougera pas pendant un ou deux jours le temps que ça se calme. Donc effectivement, le conditionnement et l’avancée de l’expédition est très tributaire de la météo.
GL : Du coup, l’expédition est prévue pour mai / Juin 2024
TM : C’est bien ça oui, c’est le meilleur moment d’un point de vue météorologique pour tenter le sommet.
GL : À un an et demi de l’expédition, as-tu déjà commencé une préparation physique ? J’imagine que tu fais de la montagne très régulièrement, mais vas-tu mettre en place une préparation physique vraiment spécifique pour cette expédition ?
TM : En général, à partir du moment où je commence à préparer une expédition, je rentre dans une espèce de routine de préparation physique. Pour le Mont-Logan expédition, je vais chercher à monter en compétences pour avoir une meilleure capacité physique. L’aspect physique on peut le maîtriser. Il faut le travailler en amont et c’est évidemment un plus. Je pense que c’est vraiment nécessaire et indispensable. Je ne dis pas que tout tient sur le physique mais si on a moins de fatigue physique ou musculaire et qu’on apprend à gérer son effort, c’est toujours ça de gagné là-haut. Peu importe l’expédition, je pense que c’est une règle qui va sur toutes les expés !
Pour mes expéditions, je me suis toujours préparé avec un coach, un ami qui s’appelle Vincent Luneau. Ensemble, on fait un peu de montagne, on court. Il est toujours là pour faire ma prépa physique.
D’ailleurs, nous avons décidé de partir sur un projet plutôt branché “trail longue distance” pour l’année 2023, mais on s’en parlera plus tard.
Donc oui, une préparation physique et technique, c’est le secret, je pense, d’une bonne approche de l’expédition.

© Annie-Claude Roberge
GL : Au-delà de l’aspect physique et sportif, comment prépare-t-on une telle expédition d’un point de vue logistique, financier ?
TM :C’est vrai, avoir du matériel de qualité est crucial pour une expédition de ce genre. Mais avant même de s’occuper de cet aspect matériel ou financier, l’entourage qui soutient et croit en vous est primordial. Si, lorsque vous commencez à élaborer votre projet et à en parler autour de vous, les gens réagissent positivement et sont enthousiastes, cela peut vous donner un véritable coup de pouce et de la force pour réussir.
Avoir des amis qui soutiennent et partagent vos passions est très bénéfique. C’est le cas pour mes potes d’Expé3. Leur enthousiasme et leur volonté de participer à vos projets peut donner un sens à ce que vous faites et vous valider dans vos actions.
Et c’est aussi, comme ça que je conçois aussi la montagne : toujours donner du sens à ce que je fais. Je n’ai pas de plaisir à faire de la montagne sans sens.
Le soutien financier aussi est très important bien sûr. Partir sur une expédition de ce calibre reste onéreux. Ça représente quand même un gros billet.
Aujourd’hui, on a une superbe entente avec Samaya. Ils nous mettent à disposition leurs tentes. J’aime beaucoup ce partenariat que nous avons avec Samaya. D’emblée, ils nous ont dit : « on ne fait pas de dons, on vous prête nos tentes sur les périodes où vous avez besoin ». J’ai trouvé ça bien plus cool qu’un don de tente et qui va dormir 200 jours par an chez soi plutôt qu’un prêt de tente en one shot et qui va servir à dix ou vingt expéditions. Je trouve que le principe est génial dans une période où on essaye de faire des gestes sur le plan écologique, sur le plan économique aussi.
Après tout ne se prête pas. Ça ne va pas marcher pour le matos collectif. C’est peut-être un peu plus compliqué de prêter une paire de chaussures et ça se comprend. Pour les chaussures, nous avons une entente avec la Scarpa. Elle nous met à disposition des chaussures de ski et des chaussures d’alpinisme. Et ça, c’est un régal. Franchement, nous évoluons dans des conditions ultra-confortables. Après, nous sommes encore à la recherche de financement parce qu’une expédition de ce type coûte de l’argent. On n’a pas le choix que de composer avec, il nous en faut, même si je n’ai jamais voulu que l’argent soit au centre du projet.
Aujourd’hui, on arrive toujours à trouver des partenariats avec des marques ou avec des équipementiers, pour financer à droite, à gauche des petits bouts.
En tout cas, je n’ai pas cette chance d’avoir un mécène ou d’avoir un sponsor unique qui paye toutes mes lubies. D’un côté, je ne sais pas si ça n’enlèvera peut-être pas un peu de charme à la difficulté de l’expédition. Pour citer quelqu’un qui m’est proche : “avant l’expédition sur un sommet, il y a une expédition beaucoup plus secrète, beaucoup plus intime qui est parfois beaucoup plus palpitante, plus dure, plus source d’anxiété ».
Je prends du plaisir à faire les deux, à aller rencontrer des gens. Je reviens peut-être à la même chose mais ça permet aussi de rencontrer des gens.
GL : Très bien ! Un grand merci en tout cas Tahar d’avoir répondu à toutes nos petites questions. On se retrouve très bientôt.
TM : Avec plaisir, et je vous souhaite le meilleur à toutes et tous et surtout de très bons vœux pour l’année 2023.